Contrefaçon et cinéma : la Cour d'appel de Paris confirme la contrefaçon de droits d'auteur d'une oeuvre cinématographique

Article paru dans la revue Dalloz IP/IT (Numéro 11, 18 novembre 2016); lien vers le numéro : https://www.dalloz-revues.fr/Dalloz_IP/IT-cover-56816.htm

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Contrefaçon et cinéma : la Cour d’appel de Paris confirme la contrefaçon de droits d'auteur d'une œuvre cinématographique.

Observations sous Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 2, 10 juin 2016, n° 15/1010188 –

L’essentiel : Au terme d’une analyse particulièrement poussée des œuvres en cause (deux films d’anticipation sortis à presque trente années d’écart), la Cour d'appel de Paris confirme en tous points – exception faite du montant de l’indemnisation, qu’elle alourdit substantiellement – le jugement rendu par le Tribunal de grande instance un an plus tôt. Luc Besson et sa société de production Europacorp sont ainsi condamnés pour contrefaçon à payer aux intimées la somme totale de 440.000 euros. Ce faisant, la Cour livre un arrêt riche, rappelant avec force certains grands principes du droit d’auteur et mettant au point une véritable grille d’analyse en la matière.

Alors qu’elle avait été assez réticente au cours des dernières années à retenir la contrefaçon d’œuvres audiovisuelles, et que le principal défendeur en l’espèce avait annoncé publiquement avoir gagné « tous les procès pour plagiat » qui lui avaient été intentés (et ceux qu’il avait intentés aux autres : v. not. pour la reprise non autorisée, dans une publicité pour un opérateur téléphonique, du personnage Leeloo du film Le Cinquième Élément : CA Paris 8 septembre 2004, D. 2004. 2574, obs. J. Daleau) la Cour d’appel de Paris a, par son arrêt du 10 juin 2016, jeté un pavé dans la marre cinématographique française.

L’affaire, très médiatisée, avait déjà donné lieu à un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 7 mai 2015 (TGI Paris, 7 mai 2015, n° 14/01637 ; Légipresse 2015, n° 329, I, p. 391 ; CCE n° 6, juin 2016, chron. 8, Un an de droit de l’audiovisuel, B. Montels).

Estimant que le film Lock-out, sorti en 2012, contrefaisait leur film New-York 1997, sorti en 1981, le célèbre réalisateur américain John Carpenter, son co-auteur Nick Castle, et la société Studiocanal (cessionnaire exclusive des droits d’exploitation, y compris de remake, du film New-York 1997), avait en effet obtenu du Tribunal la condamnation pour contrefaçon de ses auteurs et de son producteur.

En appel, la Cour de Paris confirme le jugement quasiment en tous points et rend un arrêt qui, bien qu’assez autoritaire sur la forme, n’est pas au fond, dénué de toute pédagogie. 

Rappelant une nouvelle fois certains grands principes propres au droit d’auteur (I), la Cour propose ainsi une nouvelle grille d’analyse de la contrefaçon appliquée au cinéma (II).

I.              Forme et non idée, ressemblances et non différences : le rappel opportun de grands principes du droit d’auteur.

Après avoir affirmé une nouvelle fois, dès le début de sa motivation, qu'il « est constant que la contrefaçon s'apprécie non point par les différences…mais par les ressemblances » (B) la Cour d’appel rappelle de manière fort logique que « par-delà le thème, non protégeable en soi, du film…il convient de rechercher si la forme qui lui a été donnée présente une combinaison de caractéristiques au fondement de son originalité dont la reprise…est susceptible de constituer une contrefaçon » (A).

A. Le « thème » d’une œuvre n’est pas protégeable, seule sa forme l’est.

Selon le célèbre adage attribué à Desbois, « les idées par essence et par destination sont de libre parcours » (H. Desbois, Le droit d'auteur en France, Dalloz 1978, 3ème éd., p. 22).

Le Tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement de l’espèce, l’avait d’ailleurs expressément cité en ouverture de sa motivation. La Cour en reprend également le principe.

Pierre angulaire du droit d’auteur, certains voient dans la réaffirmation régulière de ce dogme par la jurisprudence un « véritable principe général du droit d’auteur » (P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 9ème édition, 2015, n° 39).

Et pour cause, dans une affaire récente, opposant les auteurs du film Hollywoo à ceux d’un synopsis antérieur, la Cour avait déjà pu souligner que « la contrefaçon ne peut résulter de la reprise d'une idée ou d'un thème mais seulement de la reproduction de l'expression ou de la forme dans laquelle cette idée ou ce thème se trouvent exprimés…et des caractéristiques originales qui donnent à l'œuvre sa physionomie propre » (CA Paris, 7 mars 2014, n° 13/07550).

Pour la Cour donc, par-delà le thème, c’est-à-dire « la commune thématique d'une prise d'otage dans une prison insusceptible en soi de faire l'objet d'une appropriation », il convenait donc « de rechercher si l'œuvre cinématographique « Lock Out » reprend dans la même combinaison les différents éléments qui composent l'œuvre première « New-York 1997 », fussent-ils connus pris isolément ».

En évoquant ces éléments « connus pris isolément », la Cour fait écho à ce que le Tribunal, puis les appelants, avaient appelé le « fonds commun » du cinéma. Déjà employée concernant le genre du dessin animé ou celui de la téléréalité, cette expression avait surtout permis jusque-là aux juges du fond de tendre à la conclusion de l’absence d’originalité individuelle des éléments tirés de ce fonds commun. Dans l’arrêt commenté, elle dépasse donc ce simple constat d’absence d’originalité. 

En effet, de même qu’en droit des marques un signe composé d’éléments non-distinctifs peut lui-même être jugé distinctif, la Cour rappelle que la combinaison « choisie par le réalisateur du film et qui lui est propre » d’éléments non-originaux tirés de ce fonds commun est bien, elle, éligible à la protection par le droit d’auteur (v. déjà, concernant la protection d’un site internet : Cass. civ. 1ère, 12 mai 2011, n° 10-17852).

En l’espèce, la Cour va ainsi considérer que, quand bien même New York 1997 reprendrait lui-même des caractéristiques scénaristiques de films antérieurs (les thématiques du western Rio Bravo ou de Mad Max), cet argument n’est pas opérant dans la mesure où il ne s'agit que d’éléments isolés « et il ne peut d'aucune manière être considéré qu'a été reprise la même combinaison d'éléments imprégnée de la personnalité de John Carpenter qui permet à son œuvre cinématographique d'être considérée comme originale et d'accéder à la protection du droit d'auteur ».

B. La contrefaçon s’apprécie par les ressemblances, non les différences.

C’est l’autre grand principe que rappelle la Cour à l’occasion de l’arrêt commenté. Alors que les appelants prétendaient « qu’en l'occurrence, les œuvres opposées sont radicalement différentes dans leurs genre, forme, traitement, style, histoire, personnages aux psychologies propres, rythme, effets spéciaux et même dans leur portée politique et sociale », la Cour leur rétorque d’entrée qu’« il est constant que la contrefaçon s'apprécie non point par les différences, comme le voudraient les appelants qui les évoquent ab initio, mais par les ressemblances ».

Ainsi, « en dépit de différences » qui peuvent exister entre les deux œuvres en cause, c’est bien la multiplication des ressemblances entre elles – « reprise massive et semblablement agencés, par les appelants…d'éléments essentiels de l'œuvre » – qui amène la Cour à la conclusion que Lock-Out contrefait New-York 1997.

A cet égard, il convient de noter que la motivation du Tribunal, à la faveur de ce que les appelants dénonçaient dans leurs écritures d’appel comme « un catalogue à la Prévert », brillait déjà par une inlassable répétition de paragraphes démarrant par « Dans les deux films… ».

De manière fort logique, la Cour prend toutefois le soin d’écarter de son analyse certaines ressemblances normales, attendues, car propres au genre…ou au « fonds commun » du cinéma évoqué plus haut. Ainsi, par des motifs du Tribunal que la Cour fait siens, elle écarte certaines « similitudes dénoncées tenant à l'alternance des scènes montrant le déroulement de la prise d'otage et le suivi opérationnel, ceci en raison d'une utilisation courante dans des films portant sur cette thématique ». Si un élément tiré dudit fonds commun n’est pas original et donc pas protégeable, a fortiori sa reprise, au titre des ressemblances, ne peut être condamnable.

La Cour rejette enfin l’argument des appelants selon lequel certains traits de l’œuvre arguée de contrefaçon serait « de nature à susciter…une impression d'ensemble totalement différente entre les œuvres en cause ».

Pour la Cour en effet « l'impression d'ensemble est une notion étrangère au droit d'auteur et la recherche doit porter sur la reprise, ou non, de la combinaison de caractéristiques au fondement de la protection instaurée par le Livre I du code de la propriété intellectuelle ».  Rappelons que la notion « d'impression d'ensemble » ressentie par l'observateur averti est une condition propre aux droits des dessins et modèles (art. L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle), qui ne trouve pas à s'appliquer en droit d'auteur. La Cour réaffirme donc avec force ce principe, conforme à la position de la Cour de Cassation (Com. 8 avr. 2014, n° 13-10.689, D. 2014. 2078, obs. P. Sirinelli).

On notera toutefois que la netteté de cette affirmation tranche avec l’emploi récent de ce même critère par les mêmes juges (v. CA Paris, pôle 5, ch. 2, 18 déc. 2015, n° 13/23093 ; Dalloz IP/IT 2016 p. 137 obs. N. Enser, qui relève que la Cour, pour retenir la contrefaçon non de dessins et modèles mais bien de droit d’auteur, souligne que les différences entre deux bijoux « n'affectent pas, en tout état de cause, l'impression d'ensemble qui se dégage respectivement des produits en cause »).

II. La « grille d’analyse » et l’introduction de l'« homme de l’art »

Reprenant dans ses grandes lignes la motivation du Tribunal, la Cour développe de manière assez nette une « grille d’analyse » que l’on imagine aisément applicable à tout contentieux portant sur des œuvres de cinéma (A). Ce faisant, elle introduit également dans le procès et dans son analyse de la contrefaçon un œil extérieur : celui du critique cinématographique (B).

A.    Une « grille d’analyse » pour comparer les caractéristiques communes.

En application des principes rappelés plus haut, la Cour va reprendre l’un après l’autres les points de comparaison analysés par le Tribunal en première instance.

Elle analyse tout d’abord « l’évolution de la trame du récit » pour considérer que « les articulations des trames respectives des deux récits en cause accumulent les similitudes, ceci dès l’abord et jusqu’à l’épilogue ». Ainsi, la Cour note par exemple que les deux films « s’inscrivent semblablement dans une unité de temps et de lieu », qu’ils présentent un même « dilemme initial » aboutissant au choix de la même option. Elle note enfin que les deux récits sont « émaillés de rebondissements similaires ».

Au titre du « traitement cinématographique » la Cour relève que les deux films sont « en permanence filmés dans l’obscurité » et révèlent une « ambiance de jeu vidéo ». 

Puis analysant les personnages la Cour note que les deux héros partagent une « silhouette athlétique agrémentée d’un tatouage », un « cynisme teinté d’humour » (mais une « absence d’indifférence aux sentiments » !), une « satisfaction à duper ». Quant aux personnages secondaires, la Cour souligne notamment, à propos des personnages féminins présents dans les deux films (dont « la seule présence … n'est pas en soi une caractéristique dont la reprise pourrait être sanctionnée »), une « même volonté de sacrifice personnel dont chacune fait montre, par amour ou altruisme ».

La Cour va même jusqu’à analyser « le message véhiculé par les œuvres ». Alors même que les appelants avaient prétendu dans leurs écritures n’avoir réalisé qu’un « film d’action sans aucun message politique d’aucune sorte, qui ne dénonce aucunement la société », c’était sans compter l’étonnante capacité de la Cour à lire entre les lignes pour retenir que les œuvres en cause sont « une charge à l’encontre de la puissance américaine et dénonce les dérives et failles des détenteurs de l'autorité, tous éléments auxquels le spectateur, quand bien même il serait venu voir le film « Lock Out » pour se divertir, ne peut demeurer imperméable».

B.    Le critique de cinéma comme relai de l’interprétation de la Cour

Dans son jugement le Tribunal avait fait référence à la presse spécialisée pour appuyer, en forme de touche finale, son jugement. Il avait en effet estimé, à la toute fin de sa motivation sur la contrefaçon, que « Lock-Out apparaît partager la même veine que celle de New-York 1997, ainsi d'ailleurs que l'ont relevé plusieurs articles de presse ».

Cette entrée dans le débat des critiques de cinéma  a bien entendu fait réagir les appelants, qui avaient ainsi demandé à la Cour de déclarer « inopérante la production […] de critiques cinématographiques ayant fait un rapprochement entre les deux œuvres en conflit ».

Loin d’écarter cet élément, la Cour relève à l’issue de sa comparaison que « les différentes critiques cinématographiques extraites de la presse contemporaine de la sortie du film Lock Out [françaises et américaines] que produisent les intimés convergent dans le même sens, en citant avec la plus grande netteté le film New-York 1997 ».

La Cour conforte ainsi son raisonnement juridique à l’aide de sources externes, allant même jusqu’à citer les passages les plus marquants.

Or, force est de constater que la décision de première instance a été rendue au visa de l’art. L. 122-4 (« toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ») lequel ne nécessite pas la prise en compte d’un risque de confusion et, donc, pas de référence à un public visé. Comme a d’ailleurs pu l’affirmer la Cour de cassation, « l’existence d'un risque de confusion est indifférente à la caractérisation de la contrefaçon en droit d'auteur » (Cass. civ. 1ère, 15 mai 2015, n° 13-28116).

Sans que la Cour évoque ici un « risque de confusion », on serait tenté de rapprocher ces véritables « professionnels du milieu » d’autres notions clés du droit de la propriété intellectuelle, comme l’« homme du métier » en brevets, le « public pertinent » en marques, ou l'« observateur averti » en matière de modèles.

Si cette référence aux critiques n'est pas nouvelle (v. déjà, pour une référence destinée non pas à appuyer l’analyse de la contrefaçon mais le fait qu’un personnage peut constituer, en lui-même, une œuvre originale : CA Paris 8 septembre 2004, préc., qui note « qu’il suffit de se reporter aux articles de presse et critiques cinématographiques pour constater, au travers du succès international du film Le Cinquième Élément, que Leeloo a acquis la stature d'un véritable personnage mythique »), on peut toutefois s’interroger sur son opportunité et sur les risques de dérives qu’elle pourrait engendrer.

En effet, si l’art est difficile, la critique est aisée. Or, et c’est là encore l’un des grands principes du droit d’auteur, l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle pose clairement une indifférence au genre, à la forme d’expression, à la destination, et…au mérite.

Il serait donc dangereux que le juge abandonne trop largement son analyse des ressemblances entre deux œuvres à un tiers, dont l’objectivité n’est par définition pas garantie.

Notons, enfin, que la Cour fait, au titre de la réparation du préjudice, une remarque singulière tenant non à la critique mais au succès d’une œuvre.

Alors que l’indemnisation réclamée par la société Studiocanal était d’1,5 million d’euros (soit le prix qu’elle estimait pouvoir obtenir de la cession des droits de remake de l’œuvre première), la Cour ne lui en accorde qu’un cinquième, notamment car New-York 1997 avait déjà connu une suite (Los Angeles 2013, mettant en scène le même héros dans un scénario proche) laquelle avait été un échec commercial « de nature à susciter des interrogations sur [le succès commercial attendu] d'un remake », et, donc, « à influer sur un prix de cession ».

En tout état de cause, il est dommage que les appelants, sans doute échaudés par les conclusions juridiques et les conséquences financières de l’arrêt commenté, aient annoncé ne pas se pourvoir en cassation. Nul doute en effet que l’avis de la Cour de cassation eut été fort intéressant.

Par Karine Disdier-Mikus et Gaspard Debiesse, avocats, DLA Piper France. Les auteurs remercient chaleureusement Jean Fau, élève-avocat, pour l’aide précieuse qu’il a apportée à la rédaction de cet article.

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